Où peut-on faire le cow-boy en Belgique ? (Source : Moustique - 05 octobre 2024 - Par Gauthier De Bock)
La musique country est bien présente dans notre pays. Plus qu’un style musical, c’est un art de vivre qui semble prendre racine. Mieux, la popularité des clubs s’est accrue depuis le virage roots de Beyoncé et Taylor Swift. Des passionnés nous racontent…
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La commune de Hotton, dans la province de Luxembourg, brille de ses habituelles merveilles. Hameau de Ny et sa ferme-château, ancien moulin à eau Faber, grottes splendides attirent un flot constant de touristes. Par conséquent, l’endroit dispose d’une offre d’hébergements assez importante. Les derniers week-ends de juillet particulièrement. Parce qu’à la fin de la dernière semaine de ce mois, la commune accueille, depuis trente-deux ans, le plus grand festival de country du pays.
L’évènement dure trois jours et attire du monde, mais ne fait pas que des heureux. Certains établissements s’excusent auprès de leur clientèle pour une possible “gêne” occasionnée. Il est vrai que les “trucks” américains qui débarquent pour l’occasion donnent parfois des coups de klaxon qui font voler en éclats la quiétude des lieux. Soyons de bon compte, ils sont rares. L’affluence est, certes, importante, mais il ne faut pas faire la file trop longtemps aux échoppes achalandées de chapeaux, drapeaux et bibelots évoquant l’Ouest américain. Et le bruit qui émane des grandes tentes blanches, plantées sur les pâtures communales qui constituent le centre du festival, est plutôt mélodieux. Violons, guitares, banjo, tambour s’échappent en harmonies ponctuées de clappements de main et de claquements de botte. À l’intérieur du plus grand chapiteau, une petite foule portant Stetson et santiags danse sur un vaste plancher en bois. La synchronisation des danseurs est parfaite. “Les membres d’un club”, commente un connaisseur.
Comme au ciné: le film belge The Broken Circle Breakdown, nommé aux Oscars, met en scène un “country club” flamand.
Notre pays comporte plus de deux cents clubs de country dance. Il y en a davantage en Flandre qu’en Wallonie. La série Netflix Undercover situait en 2019 son action en grande partie dans un tel club flamand. The Broken Circle Breakdown, le film belge nominé aux Oscars et gagnant du César du meilleur film étranger en 2013, également. La popularité de ces clubs semble s’être accrue depuis le virage country de la chanteuse Beyoncé et les albums de Taylor Swift sortis ces dix dernières années. Il y a peu d’endroits en Belgique qui ne possèdent pas un tel club dans un rayon de 20 kilomètres.
C’est à Genappe, au Colin’s Country Club de la salle Saint-Martin, que nous avons rendez-vous. Sur la devanture de la salle des fêtes, aucun élément ne permet d’indiquer qu’on y pratique de la danse country. Pas de drapeau américain, pas d’éléments évoquant le monde du western. À rebours des préjugés, un remix de No Woman, No Cry de Bob Marley s’échappe du hall d’entrée. Un standard du reggae peut-il faire danser des cow-boys?
Country for old men
“La danse country, ça n’existe plus, lance Colin Ghys, l’instructeur et l’animateur des lieux. Il s’agit, en fait, de la line dance pratiquée sur la musique country. Ces pas peuvent être effectués sur des tas de styles de musique. Mais, avec de la country, c’est plus facile. Parce que le tempo est plus lent, donc les enchaînements moins compliqués à réaliser.”
La danse country est née aux États-Unis où elle trouve ses origines dans les montagnes Appalaches, au cours du XVIIIe siècle. La rencontre de la musique amérindienne avec les folklores irlandais et écossais des colons va donner naissance aux premiers rythmes country. Ces musiques accompagnaient chaque fête villageoise et familiale, ce qui a donné naissance à la toute première danse country en couple, qui pouvait être exécutée en cercle. C’est l’époque de la conquête de l’Ouest, des cow-boys, des chevaux, des bottes en cuir et des chapeaux. Les cow-boys solitaires allaient de ranch en ranch, s’associaient aux danses, en dansant seul, mais formant un groupe, en imitant les pas et figures des danseurs en couple. La line dance (danse en ligne) était née.
Ces danses country (en couple) et en ligne ont été codifiées en chorégraphies. Le two step est la plus connue. Le vine ou grapevine, la plus populaire de la line dance. Jusqu’aux années 1980, ces danses étaient majoritaires dans les clubs. C’est à partir des années 1990 que la line dance s’est réellement affirmée comme une discipline à part entière. Aujourd’hui, au Colin’s Country Club comme dans d’autres clubs, des chorégraphies de line dance sont pratiquées sur de la musique country comme sur d’autres types de musique. Les dix-sept personnes qui forment les lignes ne sont pas habillées en cow-boy ou cow-girl. Un tatouage figurant un indien et quelques paires de santiags rappellent, toutefois, ça et là, un certain folklore.
La danse, et plus si affinités
“On met les costumes pour certaines manifestations publiques. Lorsqu’on participe à un festival, ou à une démonstration. À une flashdance comme celle qu’on a faite sur la Grand-Place de Bruxelles. Mais, on n’est pas des “purs et durs”. Là, de toute façon, il fait trop chaud pour porter un jeans”, explique Carla, 60 ans, membre du club depuis cinq ans. Carla ne danse pas, aujourd’hui. Elle s’est blessée le talon en jardinant. “Si je suis venue, c’est pour mes copines. On ira boire un petit verre après.” Carla explique ainsi que le club ne se limite pas à de la danse. “On organise des barbecues entre nous. Des activités. Et puis, on part de temps à autre à l’étranger pour faire des ateliers durant lesquels on va apprendre de nouvelles chorégraphies. On peut en apprendre jusqu’à une centaine par an. C’est à la fois très stimulant pour la mémoire et excellent pour se maintenir en forme.”
Il est indéniable qu’une heure de line dance est plus proche d’une discipline sportive qu’artistique. Nombreux sont ceux qui rapidement mouillent la chemise. Une majorité de femmes, quelques hommes. L’âge est compris entre 12 et 86 ans. Le club rassemble plusieurs centaines de membres et différents niveaux de difficulté. Ce qui se dégage assez rapidement des conversations que l’on a avec les uns et les autres est que la country dance est, en partie, un prétexte. Nous avons rencontré beaucoup de membres qui avaient commencé à fréquenter le club à la suite d’un accident de la vie ou d’un changement drastique. Divorce, perte de travail, retraite, veuvage, transition… Unanimité sur la solidarité trouvée au sein du club. L’enthousiasme qui s’en dégageait allait bien au-delà de la satisfaction de parvenir à réaliser correctement une chorégraphie. On parle de “famille”, de “soutien”, et, de temps à autre, de “compétition”.
Une bulle à l’écart du monde
“Mais pas entre nous, précise encore Christine. Pas question d’aller reprocher à quelqu’un d’ici de n’avoir pas pu effectuer correctement une série de pas. De même personne, ici, ne songerait à se vanter de pouvoir mieux réaliser un enchaînement difficile qu’un autre ou une autre. Par contre, je participe régulièrement à des concours. Championnat de Belgique, d’Espagne… Le week-end dernier, c’était le championnat du Danemark. Des championnats de line dance avec six danses différentes, dont de la musique country.”
Ces compétitions sont assez courantes et organisées sur l’année en suivant – comme pour les Jeux olympiques – une élimination par poules jusqu’à la finale. Les membres des jurys sont des instructeurs ou instructrices qui d’habitude animent un club. Comme celui de Colin Thys qui n’est, par ailleurs, pas le premier venu en la matière. Ce professeur d’horticulture à l’impressionnant physique a été sélectionné par la “Line Dance Association” – la fédération internationale – parmi les huit meilleurs instructeurs du monde.
On notera la modestie de Colin qui s’est bien gardé d’étaler ce nouveau titre de gloire. C’est une de ses élèves qui nous a rapporté l’affaire. Elle synthétise: “Qu’est-ce qui va se passer en Ukraine? Qu’est-ce qui va se passer aux États-Unis? Quelle catastrophe va nous tomber dessus? Le monde est anxiogène. Vous lisez un journal, vous ouvrez le poste, vous allumez la télévision, ce n’est que stress et mauvaises nouvelles. Sans compter ce qui peut vous arriver à vous, en cours de journée. À côté du chapeau et du folklore, pour moi, aller au club c’est tout oublier. C’est se mettre loin du monde, dans une bulle de protection. Moi, j’ai eu une journée épouvantable. Après une heure de danse, j’ai tout oublié. Et j’ai retrouvé le sourire!”
Gauthier De Bock